Thomas Cazals

Tuesday, September 13, 2011

Found Footage Connection


La "Found Footage Connection" en vacances cet été au Mexique


Budgets de tournage de misère, censure idiote, absence d'imagination ou droits d’images exorbitants, les industries de la musique et de la télévision mariés depuis le début des années 80 viennent de ré-inventer à travers le phénomène des films et vidéo-clips en Found Footage un genre cinématographique jusqu’alors réservé aux seules salles obscures des musées d’art contemporain. Le found footage ou l’art de réutiliser dans un contexte différent certaines images de films trouvées ou crées par d’autres est récemment devenu un véritable phénomène qui prend tout son sens à l’air de Youtube et de Daily Motion.


Summertime Sadness

Août 2011 (pile 30 ans après la naissance de la chaîne MTV), le clip Video Games de la jeune chanteuse new-yorkaise Lana Del Rey devient en quelques jours le tube de l’été qu’on attendait plus.


La large communauté geek toujours avide de trouver une icône en chair et en os en doublure de ses princesses Mononoké virtuelles tombe sous le charme de la Nancy Sinatra du nouveau siècle. L’esthétique du vidéo-clip est largement composée d’images Super 8 et d’extraits d’émissions de télévision récupérées sur les sites de partage de vidéo, bref du Found Footage. L’idée de ce collage d’images proviendrait de certains films réalisés par Tim Van den Hoff, producteur, réalisateur mais également philosophe hollandais… Le précédent clip de Lana Del Rey Kinda outta Luck (diffusé à partir de Mai 2011) est lui aussi composé d’extraits de films noirs américains des années 50 et de fragments de dessins animés de la Warner (Bip Bip, Bugs Bunny…) de la même époque.




Blog Bands

Depuis quelques mois on assiste véritablement à la naissance d’une vague de vidéos musicales de ce genre. Dans le video-clip Lofticries, Purity Ring un jeune groupe d’électro-pop new-yorkais utilise lui les images d’un obscure thriller suédois Thriller A cruel picture (1974) du réalisateur Bo Arne Vibenius, auteur de trois films entre 1969 et 1975. 


Le collage musique-images fonctionne à merveille, on attend avec impatience le premier album de Purity Ring ainsi que l’édition DVD dans la veine sanglante grindhouse du Thriller A cruel Picture.

Ces nouveaux groupes sont déjà surnommés par la presse spécialisée Blog Bands. Ils sont jeunes, ils font de la musique, ils n’ont pas un rond. Leur premier EP est publié par de minuscules labels, ils n’ont comme moyen de communication leurs blogs et ce genre de vidéos réalisé en coller-monter. Vous allez me dire, c’est bien joli tout ça, mais le problème grec là-dedans ?... Justement, on y vient.

Le problème grec

Certains réalisateurs (ou re-réalisateurs) se font même désormais une spécialité de remonter un ancien film  en y adaptant un morceau de musique actuel. C’est le cas du groupe d’artistes Wooden Lens situé à Brooklyn et Portland qui sur leur page Viméo annonce la couleur avec ces mots « Seek the future and past simultaneously. Connect the found with the forgotten. Ben Razavi, Bernardo Pantoja and Skyler Stevenson are Wooden Lens. Three guys who need some damn work ». 


Aux Etats-Unis et en Grèce, c’est aussi la réalité du chômage et de la crise mondiale qui créé cette vague du Found Footage. Le vidéo-clip réalisé par Wooden Lens pour le jeune duo grec Keep Shelly in Athens associe leur musique disco mélancolique de Running out of you aux magnifiques images du film Le Sacrifice d’Andreï Tarkovski.  
  
Il y a dans la collection des Wooden Lens pas mal de de films français cités, parmi eux un joli raccourci du film de Luc Besson Subway (1985) dans lequel Isabelle Adjani se retouve amoureuse d’un alien vivant dans le métro qui se fait flinguer à la fin… Une forme de remise à jour express d’un classique du cinéma underground français (si, si ça existe), que le patron d’Europa Corp. appréciera sûrement…


L’art du Found Footage

Réaliser un film à partir d’images trouvées ou empruntées à d’autres n’est pas vraiment un phénomène nouveau. L’histoire croisée du cinéma et de l’art contemporain fourmille d’exemples de glaneurs (euses) d’images animées retrouvées ou détournées. Pour ne citer qu’un exemple l’artiste américain Bruce Conner (1933-2008) réalise en 1958, un des classiques du film de Found Footage, le très beau A Movie.


Bruce Conner est également un des premiers réalisateurs (24 films) a avoir utilisé de la musique pop comme bande-son de ses films. Quand à la fin de sa vie certains spécialistes du genre lui firent remarquer qu’il était certainement un des pères du robinet à clips MTV, Conner répondit : Peut-être, mais ce n’est pas ma faute…

Si l’art du Found Footage est aujourd’hui redevenu contemporain c’est qu’il n’a jamais cessé d’exister et d’évoluer au gré du développement du cinéma, de la télévision et des caméras miniaturisées. La production quotidienne du Footage (métrage) devient vertigineuse, chacun de nous en produit désormais des heures grâce à son simple téléphone portable. Avec une telle quantité d’images à leur disposition et un accès décomplexé via Internet, certains jeunes artistes poursuivent l’exploration de ce phénomène de régénération de l’image.


L’horloge biologique

Pour eux, il ne s’agit plus alors de copier-coller ou de détourner des images trouvées, oubliées, abandonnées, mais d’utiliser certaines briques du mur d’images et d’informations face auquel nous vivons désormais pour créer des objets filmiques neufs.


Récemment, le Centre Beaubourg a projeté le film de Christian Marclay The Clock (2010), d’une durée de 24h, composés d’environ 3000 extraits de films et de séries télévisés comportant une indication d’heure… L’heure qu’il est à la montre du spectateur qui assiste à la projection dans la salle est la même que celle mise en scène sur l’écran. Le spectateur partage alors son temps biologique avec celui des personnages du film sur l’écran.

Autre exemple, passé un peu inaperçu au printemps mais très pertinent, le film de Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin Cyborgs dans la brume remixe images de Found Footage provenant de Youtube ou de Google Maps et prises de vues réelles tournées pour le film. C’est un film documentaire de science-fiction présentant les travaux d’un laboratoire utopique le LOPH (Lutte contre l’Obsolescence Programmée de l’Homme) implanté dans la ville de St Denis. La trame du film est d’explorer les technologies permettant aujourd’hui d’augmenter les capacités naturelles de l’homme. Un accompagnement dans sa volonté craintive de mutation, un film en forme de survival kit (kit de survie).

Le film sans caméra

Cette vague de films, de clips et de création contemporaines portée par l'utilisation du Found Footage annonce des oeuvres souvent réalisées sans caméra, fabriquées en équipe très réduite et pour la plupart sans budget de production. En marge, cette nouvelle vague en même temps qu’une forme exclusive liée au contenu disponible sur Internet offre une critique ouverte de l’image officielle, de son esthétique mais aussi de certaines technologies dominantes. Le Found Footage est forcément lié au low tech, il s'inscrit dans un véritable travail sur la mémoire en recyclant certaines images. Ses nouveaux auteurs annoncent clairement la volonté de tisser d’autres fils d’émotions avec le spectateur, d’inventer d’autres formes de narration et de récits en bousculant celles établies. C’est pour l’instant à mon avis la seule forme véritablement originale de création transmédia qu’il nous est donnée à voir.

Une petite perle pour terminer. Le clip de Magic Machines réalisé en Found Footage et en Gifs animées !




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