Thomas Cazals

Tuesday, October 09, 2007

Aérolithe

J'ai découvert récemment, le livre de Davis Grubb "La nuit du chasseur" paru aux Etats-Unis en 1955. L'année de sa sortie il est adapté par Charles Laughton au cinéma. Je ne pensais pas retrouver à la lecture du livre les mêmes vibrations qu'au spectacle du film de Laughton, et pourtant tout y est. La lumière, les mains tatoués, la présence des animaux sauvages, la Lune, l'angoisse et la nuit. Le film est extrèmement fidèle au livre. Totalement. A l'époque de sa sortie le livre est finaliste pour le National Book Award, à sa sortie en salle le film lui n'est pas vraiment un succés. Par curiosité, j'ai recherché quelques critiques de l'époque de sa sortie en France. Depuis, "La nuit du chasseur" est devenu un grand classique...le diamants sont éternels...

Truffaut le trouvait quasi ridicule : "La Nuit du chasseur n'est malheureusement pas le film génial espéré avec un tel scénario. La mise en scène, quoique riche de nouveautés, titube du trottoir nordique au trottoir allemand, s'accroche au bec de gaz expressionniste et ne parvient pas à traverser dans les clous plantés par Griffith. Que de feux rouges brûlés et de policemen renversés ! Déplorons encore quelques défaillances de la direction d'acteurs, quelques facilités et l'attendrissement final, odieux." François Truffaut Arts, 23 mai 1956

La même année un autre critique André Labarthe présente le chef-d'oeuvre : Telle qu'elle se présente, avec ses images issues de l'Expressionnisme sans en avoir l'alibi chronologique (dues à Stanley Cortez, l'opérateur de La Splendeur des Amberson), La Nuit du Chasseur est le film de l'enfance. Outre Lautréamont, je ne vois que Bellmer (...) ou Michaux (...) pour rendre une atmosphère semblable de sexualité angoissée.
André S. Labarthe Cahiers du Cinéma n°60, juin 1956

Enfin, voilà ce que pensait quelques années plus tard Serge Daney :

Tout le cinéma en un film. La Nuit du chasseur est l’un des films les plus étranges et les plus beaux du cinéma américain. Le mot qui revient le plus souvent à son propos est " aérolithe ". En effet, il reste l’œuvre unique de l’acteur Charles Laughton qui, fort du feu vert du producteur Paul Gregory, fit le film à son idée sans tenir compte des canons du récit hollywoodien. Film hors norme, La Nuit du chasseur traverse tous les genres, mais ne se plie à aucun en particulier. En faisant confiance à Stanley Cortez (pour l’aspect visuel du film) et à Robert Mitchum (pour la composition du rôle de Harry Powell), en dirigeant les enfants non comme des petits singes mais comme de vraies personnes, en alternant les styles et les figures, en inventant un temps paradoxal qui est autant celui de la flânerie mythologique que celui du film policier, en se permettant, à travers Lillian Gish, un hommage à Griffith et aux débuts du cinéma, Laughton réussit en un sens le premier film " cinéphile " du cinéma, à la fois très cultivé et totalement innocent. C’est sans doute pourquoi La Nuit du chasseur (qui n’eut à sa sortie qu’un succès d’estime) ne deviendra que progressivement le film phare qu’il est aujourd’hui. Très peu de films, en effet, donnent ce sentiment de se situer à la fois en amont et en aval du cinéma et d’en dominer toute l’évolution.
Serge Daney





1 comment:

  1. Bonjour; tout d'abord merci pour ces citations précieuses. Auriez-vous les sources bibliographiques de ces citations (de Serge Daney et François Truffaut) ? Je ne trouve que très peu de source concernant les critiques de ce film! Merci

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