Thomas Cazals

Saturday, October 01, 2005

Bruce Sterling et James Ballard

Je viens de lire cet interview passionnante avec Bruce Sterling à propos de James Ballard et de l'influence sur le mouvement littéraire cyberpunk. J'en profite à propos de Bruce Sterling pour vous donner l'adresse de son blog et l'intégrale de l'interview parue dans le Technikart Futurs sortie l'année dernière, réalisé à l'occasion du festival international de science fiction de Nantes.Où il aborde le terrorisme, le futur de l'Europe et son nouveau job de professeur de design.

INTERVIEW BRUCE STERLING


Le futur c’est le design

Ce qui s'est passé avec le mouvement cyberpunk initié par William Gibson, Rudy Rucker, ou moi-même c’est que nous avons rendu les ordinateurs et les réseaux sexy. William Gibson a vraiment mis l'ordinateur à la mode au milieu des années 80, il a rendu cette machine très "fashion". C'est le rôle de la science-fiction : rendre la science sexy, intellectuel et "fashion". Mais cela doit être fait avec des éléments de la science qui s'y prête vraiment comme l'ordinateur ou le voyage dans l'espace. Il y a certains domaines scientifiques, qui ont un impact social très important, c'est le cas des énergies renouvelables, c'est un sujet passionnant, mais c'est aussi très chiant a étudier donc difficile a traduire dans un roman.

Pour moi écrire de la science fiction c'est appartenir à la culture underground. Maintenant que je commence une nouvelle carrière d’enseignant depuis 3 ans dans une école de design je commence vraiment à voir ce que c'est que éduquer des gens. Dans les années 20, les gens qui lisaient de la science-fiction apprenaient également à connaître ce qui se faisait alors dans les sciences. Aujourd'hui, une grande partie de la recherche est disponible sur Google. Donc écrire de la "science fiction » pour moi n'est plus tellement à l'ordre du jour, je fais plutôt de la "Design fiction".



LA CONTESTATION SUR INTERNET


Le problème de la vague de contestation à laquelle nous avons assisté durant les élections présidentielles c'est que les gens ne votent pas sur Internet. L'autre limite à la contestation c'est que c'est très compliqué de donner une résonance à une idée et de créer une identité nationale sur le web. C'est un lieu de débats, d'argumentation. Mais l'administration Bush, par exemple, n'argumente pas, elle n'essaie pas de convaincre les gens d'une manière raisonné et cohérente, et ce sont eux qui ont le pouvoir et qui ont de nouveau gagné. Georges Bush est un type qui mène sa politique de manière émotionnelle. "C'est bien, c'est pas bien, c'est triste... » et je pense que beaucoup de gens aujourd'hui sont d'accord avec ses choix et s'identifie à lui pour cela. Ils se disent, le président aurait fait la même chose que moi.


Je suis un ex-technobèse


Il y a beaucoup d'arguments politiques sur Internet très convaincants qui pourraient faire croire qu'il y a une vrai contestation politique sur Internet. Mais agiter des 1 et des O ce n'est pas vraiment une contestation concrète. Pour qu'il y ait contestation il faudrait que nous sortions de nos bureaux pour aller manifester dans la rue ou pour aller voter. Il ne peut pas y avoir de véritable contestation, si celle-ci est entre les mains de bénévoles ou de tous ces gens qui font des weblogs et qui brassent de l'information. Parmi ces gens qui est vraiment intéressé par l'idée d'un service publique ? Il y a un moment dans l'établissement concret d'un contre pouvoir où il faut nommer certaines personnes a des postes clés : il faut à un moment un secrétaire de ceci ou un trésorier pour que l'organisation marche. Si vous passez votre temps derrière votre ordinateur, vous n'aurez jamais le pouvoir. Il y a vraiment un illusion terrible quand vous recevez 500 emails par jours, que vous êtes sans arrêt sur Internet, vous passez votre temps sur le réseau. On peut courir le risque d'être tellement informé qu'on en est plus du tout productif. C'est comme manger trop de sucre. On peut rapidement souffrir de "technobésité".


LES GUERILLAS GLOBALES


J'accorde beaucoup de crédit à Al Qeeda. Ils insultent l'Amérique d'une manière très efficace et ils sont très bons pour semer la panique et rendre les populations totalement folles. Et pas seulement aux Etats-Unis, mais également en Arabie Saoudite, en Indonésie, ils sont nombreux, très organisés et réusissent en faisant des choses totalement irrationnelles à déstabiliser les populations. Ils font des choses tellement puissantes qui déclenchent tant de souffrance qu'ils sortent des limites du rationnel occidental. Ils ne vont certainement pas disparaître et tout ça ne va pas se calmer. ils vont continuer à créer toutes ces atrocités très polarisées autant qu'ils pourront. C'est l'émergence d'une guerilla globale.

LE FUTUR DE L’ACTIVISME


Je pense que l'activisme le plus intéressant sur Internet, ce sont les relations qui peuvent se créer entre les Etats sans pays et les diasporas globales. Un activisme franco-français n'est pas vraiment intéressant ce qui est intéressant ce sont les échanges qui peuvent se créer entre des basques dans l'état du Nevada et les membres de l'ETA dans les Pyrénées. Al Qeeda est une diaspora. Ils ont les moyens financiers et un réseau d'influence, ils sont très mobiles et ils font des transferts d'argent électronique à travers des activités off-shore. Et je pense que l'activité politique d'Internet se situe principalement là. En Somalie, il n'y a pas de gouvernement, pas d'élections, pas d'armée, mais Internet y est extrèmement bien implanté. Il y a énormément d'argent "off-shore" qui circulent, parce que les personnes les mieux éduquées du pays dés qu'elles le peuvent quittent la Somalie et renvoient par le biais de services bancaires électroniques beaucoup d'argent au pays pur leurs proches ou leurs amis qui y sont restés. A mon avis, la Somalie va encore fonctionner comme ça pendant pas mal de temps. Et nous avons là un Etat bardé d'Internet avec beaucoup d'argent qui circule virtuellement et un Etat qui a quelque part échoué. C'est très étrange et très dangereux. C'est un activisme très particulier. Ils ont partout Internet et n'ont même pas de justice sociale. Dans ce cas Internet ne sert pas la démocratie ou la justice, le réseau anime plutôt une situation totalement anarchique construit sur des transferts d'argent "off-shore".

LE NOUVEAU DESORDRE MONDIAL

Nous sommes arrivés en ce moment à une situation où les Etats ne se font plus la guerre entre eux mais ou il y a un affrontement permanent entre un nouvel ordre mondiale et un nouveau désordre mondial. L'erreur de Bush en Irak a été de croire qu'en démolissant un Etat, il allait pouvoir en construire un autre. Mais aujourd'hui, ce qui se passe c'est que le pays veut démolir l'Etat que veut créer Bush. Ce n'est décidément pas un bon plan. L'ordre ne règnera jamais en Irak. Et les Etats-Unis peuvent rester autant de temps en Irak, en Afghanistan, en Somalie ou au Soudan, ce sont les endroits où règne Al Qeeda et où les seigneurs de guerre de ces nouvelles guerrillas globales vont se multiplier.

LE FUTUR DU WEB


J'observe Internet depuis longtemps et c'est vrai qu'aujourd'hui il y a une sorte de maturité dans la pensée mais c'est tout simplement parce que les gens qui utilisent Internet ont vieilli. Quelqu'un de mature c'est quelqu'un qui pense qu'il sait ce qu'il fait. Mais quand on ne sait comment va tourner le monde la semaine prochaine, ça me paraît un peu compliqué de savoir exactement ce qu'il faut faire. Avant le Web, il y avait déjà Internet et beaucoup de gens pensent que le World Wide Web, c'est Internet. Aujourd'hui beaucoup de gens pensent qu'Internet, c'est Google. Il y a des sociétés comme E-Bay qui est partout dans la monde, en Inde, en Chine, jamais une société n'est parvenu a s'établir dans le monde aussi rapidement, et elle continue son expansion. La présence de e-bay dans certains pays a un impact économique énorme et imprévu. Donc aujourd'hui, nous assistons a des phénomènes qui ne sont en rien mature, et qui peuvent être explosifs. Je n'appelle pas ça une technologie mature, au contraire de l'industrie automobile, qui est quelque part une vache à lait pour les gouvernements, ou tout est régulé et ou il y a un retour sur investissement garantit, ou les gens qui y travaillent sont là pour longtemps. Mais dans l'industrie informatique tout est "off-shore", les travailleurs sont mobiles, il n'y a pas de travail fixe, les gens se réinventent sans arrêt. Les gens dont vous parlez Cory Doctorow, Lawrence Lessig mènent quatre ou cinq carrières simultanément. Ils peuvent être avocat, activiste, professeur, journaliste, et ils changent de profession toutes les heures. Peut-être devraient-ils utiliser des noms différents, un pour chaque activités. Ils sont certainement les nouveaux visages d'un certain activisme, mais c'est toujours la même question personne ne les a élu et je ne sais pas si cela pourra fonctionner un jour.


Les droits d’auteurs


"Creative Commons" c'est un principe très intéressant, mais c'est toujours la même chose. Qui va répertorié les oeuvres, qui va se taper le boulot chiant. A long terme, je ne sais pas si une institution peut reposer sur une majorité de bénevoles. 99% des idées initiées sur ce modèle ce sont un jour heurté aux réalités financières sur le Web et ont échoué. Internet c'est comme un marché. C'est fantastiquement productif, animé, mais c'est aussi sale, il y a des maladies, la drogue circule, vous y êtes tout le temps et c'est un endroit idéal pour les bandits. Je ne pense pas qu'Internet soit un endroit qu'on peut contrôler d'une manière ou d'une autre, c'est une formidable machine à générer du désordre. Si vous voulez vraiment contrôler quelque chose, votre vie et vos sentiments par exemple, éteignez vos ordinateurs, sortez, allez vous ballader dans un parc asseyez-vous. Ici personne ne viendra vous déranger. Prenez juste un calepin et un stylo et restez y quatre ou cinq heures. Ensuite allez voter.



Le futur c’est l’Europe

Je me suis promis qu'au passage de l'an 2000, que j'écrirai un bouquin sur le futur. J'ai essayé d'oublier ce que j'avais appris, et tout mon bagage culturel qui était figé dans les années 70. Ce que j'ai essayé de dire avec ce livre, c'est que le temps ne s'est pas arrêté au passage à l'an 2000. Quand vous enquêtez sur le futur vous travaillez en fait sur le présent, c'est pourquoi j'ai appelé ce livre "Tomorrow now". Le vrai challenge pour notre civilisation c'est vraiment de créer des technologies stables qui vont nous aider à créer quelque chose de concret et de sûr. Parce qu'aujourd'hui nous n'en sommes vraiment pas là. De plus en plus d'endroits sur la planète sont livrés à l'abandon, nos institutions s'écroulent et nous sommes incapables d’en créer d'autres. Ce qui va être intéressant à créer c'est la constitution européenne, il y a quelque chose de vraiment nouveau à créer. Je passe beaucoup de temps en Europe parce je pense que l'Europe est politiquement inventive, comme le Brésil et la Chine. Je suis en quête de solutions politiques dont le 21 siècle a besoin. Il est probable qu'Internet doit être un élément de structure de ces solutions mais ça ne sert à rien d'aller vite, il faut que les gens comprennent ce qu'ils peuvent faire avec ça.

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