Thomas Cazals

Tuesday, October 18, 2011

Voici Venir V



David Lloyd V for Vendetta

Ca devait arriver… A force d’être assommé d’histoires de super-héros aux pouvoirs surnaturels qui surgissent hors de la nuit pour sauver la veuve et l’orphelin, nous en avons idéalisé un. En l’absence de leader politique digne d’assurer la sauvegarde d’une humanité fragilisée nous nous en remettons faute de mieux à un personnage de bande dessinée. Mais pas n’importe lequel. Il s’agit de V, pour Vendetta, personnage créé par le scénariste Alan Moore et le dessinateur David Lloyd en 1989. Selon l’état civil V a 20 ans, mais il en a beaucoup plus que ça. Quatre siècles d’après ses créateurs car son masque affiche le visage blême et grimaçant d’un catholique anglais du 16eme Siècle, Guy Fawkes anarchiste ayant échoué la nuit du 5 Novembre 1605 a faire sauter le Palais de Westminster et ainsi a assassiner le roi protestant Jacques 1er.

Alan Moore Magick, Art and Shamanism


Depuis quelques mois le fantôme de Guy Fawkes, à travers le personnage du justicier masqué V grignote lentement mais sûrement notre inconscient cybernétique à travers certains clichés qui circulent sur Facebook ou Twitter et qui nous annonce que le début est proche. Le début de quoi, seul V le sait.

Mais d’ailleurs, qui se cache vraiment derrière le masque ? Voici ce qu'en dit le scénariste-sorcier de la série dans Les Travaux Extraordinaires d'Alan Moore : « En fait, ce que j'essayais de faire, c'était de suivre la tâche que je m'étais fixé dès le début; de faire un « personnage mystérieux des années 30, du style film noir » […]. On va aussi jouer avec une espèce d'indulgence typiquement britannique – tout au moins dans la bande dessinée- qui est de faire passer les criminels pour des héros. Cela remonte à Robin des Bois, à Charlie Peace et Dick Turpin. Tous ces criminels anglais sont en fait utilisés comme des héros. Je me suis dit qu'on pouvait imaginer un personnage, un homme -un terroriste même- en lutte contre un état fasciste ancien et corrompu […]. On voulait donc faire une bande d'aventure/thriller pleine d'ombres, selon la recette classique de l'homme seul contre le système, dans l'Angleterre fasciste du futur. »



En 2006 après la bande dessinée, l’histoire de V for Vendetta est adaptée au cinéma par les frères Wachowski, qui viennent de formaliser avec Matrix ni plus ni moins que les bases cinématographiques d’une culture du réseau via l’influence littéraire cyberpunk. Difficile de résister à quelques citations de critiques cinéma de l’époque épousant la sortie du film réalisé par l’australien James Mc Teigue. Jonathan Ross, de la BBC, a descendu le film, le qualifiant de « consternant et d'échec désespérant » et écrivant que « la distribution et le talent d'acteurs comme John Hurt et Stephen Rea ont peu de chance d'exister au milieu des débris du script des frères Wachowski et en particulier de la pauvreté des dialogues». Sean Burns du Philadelphia Weekly a donné au film un « D », critiquant le traitement du message politique comme étant « assez faible, un truc d'adolescent » et l'interprétation de Natalie Portman : « Portman continue à croire que rester debout et bouche bée constitue une performance». En France, parmi les bonnes critiques, la version française du magazine Rolling Stone lui a donné la note maximale en écrivant que le film était « une réussite tant dans la forme que dans le fond [...] et qui résiste au tout-spectacle décérébré au profit d'un message radicalement humaniste ». Emmanuel Denis, de L'Écran fantastique, évoque une adaptation « qui allie l'intégrité et l'audace de son propos à l'efficacité cinématographique». Bernard Achour, du Nouvel Observateur, estime enfin qu'il s'agit du « blockbuster le plus subversif et intelligent jamais réalisé »… (Ces citations sont issues de la page wkipédia très complète consacrée au film de James Mc Teigue)


On sent à travers les critiques de cette époque, l’émergence du film culte qui pointe sous les pop-corn. Lors d’une discussion sur Facebook pour préparer ce post Mathieu Dupré me fait remarquer : « L'adaptation ciné est peu aimée par les fans de la bd, mais semble avoir énormément touché le reste des gens. Elle prend pas mal de distance avec le récit de base, et dans un même temps rajoute pleins d'éléments : là où la bd opposait anarchisme et fascisme, le film oppose plutôt idéologie libérale et idéologie conservatrice. Ainsi il se veut une sorte de mise à jour du récit de Moore édulcorée et adaptée à l'Amérique de Bush (ajout de références à l'Islam, exit référence aux camps de concentrations, etc) et plus centré sur le motif de la vengeance (référence au Comte de Monte-Cristo)."

Le personnage de Vendetta est donc profondément ancré dans une tradition classique du récit d’aventure européen. V est un personnage romantique, qui comme le héros de Dumas est animé d’une grande âme ainsi que d’une véritable haine. Il est également très proche de l’autre personnage créé par les frères Wachowski, Neo (anagramme de The One, l’élu) qui tente de libérer les humains prisonniers de la Matrice, dans The Matrix.

Alan Moore talks-V For Vendetta

Pour la génération qui manifeste aujourd’hui son ras-le-bol sur toutes les places du monde occidentales, V semble donc incarner tout cela. Héros dôté du don d’ubiquité on le retrouve simultanément à Londres, New-York ou Barcelone au milieu des manifestants où il affiche toujours son sourire goguenard et sa cape noire. Utilisé depuis plusieurs années par le groupe de contestation Anonymous (au départ dans certaines manifestations organisées contre la Scientologie) comme symbole et uniforme, la silhouette et le visage stylisé de Guy Fawkes s’affichera sans doute bientôt à la une des journaux et viendra augmenter le chiffres d’affaires de la Warner Bros (un masque de Vendetta est vendu environ 6 dollars aux USA…).

Un historique du mouvement Anonymous sur le site de Tracks (2008)

Un entretien avec David Lloyd à propos de l’influence de son personnage sur le mouvement Anonymous (2011)

La page wikipédia française consacrée au film V for Vendetta de James Mc Teigue


Un grand merci à Mathieu Dupré et aux nombreux fans d'Alan Moore.